SAN ANTONIO BAISSE LA PRESSION, TU ME LES GONFLES DU MÊME AUTEUR Dans la même collection: Laissez tomber la fille. Les souris ont la peau tendre. Mes hommages à la donzelle. Du plomb dans les tripes. Des dragées sans baptême. Des clientes pour la morgue. Descendez-k à la prochaine. Passez-moi la Joconde. Sérénade pour une souris défunte. Rue des Macchabées. Bas les pattes! Deuil express. J ‘ai bien l’honneur de vous buter C’est mort et ça ne sait pas! Messieurs les hommes. Du mouron à se faire. Le fil à couper le beurre. Fais gaffe à tes os. Àtue...etàtoi Ça tourne au vinaigre. Les doigts dans k nez. Au suivant de ces messieurs. Des gueules d’enterrement. Les anges se font plumer La tombola des voyous. J’ai peur des mouches. Le secret de Polichinelle. Du poulet au menu. Tu vas trinquer~ San-A ntonio. En long, en large et en travers. La vérité en salade. Prenez-en de la graine. On t ‘enverra du monde. San-A nlonio met le paquet. Entre la vie et la morgue. Tout le plaisir est pour moi. Du simp pour les guêpes. Du brut pour les brutes. J’suis comme ça. San-Antonio renvoie la balle. Berceuse pour Bérurier Ne mangez pas la consigne. La fin des haricots. Y a bon, San-A ntonio. De « A »jusqu’à « Z ». San-A ntonio chez les Mac. Fleur de nave vinaigrette. Ménage tes méninges. Le loup habillé en grand-mère. San-Antonio chez les « gones ». San -A ntonio polka. En peignant la girafe. Le coup du père François. Le gala des emplumés. Votez Bérurier Bérurier au sérail. La rate au court-bouillon. Vas-y Béru! Tango chinetoque. Salut, mon pope! Mange et tais-toi. Faut être logique. Yade l’action! Béru contre San-A ntonio. L’archipel des Malotrus. Zéro pour la question. Bravo, docteur Béru. Viva Bertaga. Un éléphant, ça trompe. Faut-il vous l’envelopper? En avant la moujik Ma langue au Chah. Ça mange pas de pain. N’en jetez plus! Moi, vous me connaissez? Emballage cadeau. Appelez-moi, chérie. T’es beau, tu sais! Ça ne s’invente pas. J’ai essayé: on peut! Un os dans la noce. Les prédictions de Nostrabérus. Mets ton doigt où j’ai mon doigt. Si, signore. Maman, les petits bateaux. La vie privée de Walier Klozett. Dis bonjour à la dame. Certaines l’aiment chauve. Concerto pour porte-jarretelles. Sucette boulevard. Remets ton slip, gondolier Chérie, passe-moi les micmbes! Une banane dans l’oreille. Hue, dada! Vo! au-dessus d’un lit de cocu. Si ma tante en avait. Fais-moi des choses. Viens avec ton cierge. Mon culte sur la commode. lire-m ‘en deux; c’est pour offrir A prendre ou à lécher Baise-bail à La Baule. Meurs pas, on a du monde. Tarte à la crème story. On liquide et on s’en va. Champagne pour tout le monde! Réglez-lui son compte! La pute enchantée. Bouge ton pied que je voie la mer L’année de la moule. Du bois dont on fait les pipes. Va donc m’attendre chez Plwneau. Morpions Circus. Remouille-moi la compresse. Si maman me voyait. Des gonzesses comme s’il en pleuvait. Les deux oreilles et la queue. Pleins feux sur le tutu. Laissez pousser les asperges. Poison d’Avril, ou la vie sexuelle de Liii Pute. Dégustez. gourmandes! Plein les moustaches. Après vous s’il en reste, Monsieur le Président. Chauds, les lapins! Alice au pays des merguez. Fais pas dans le porno... La fête des paires. Le casse de l’oncle Tom. Bons baisers où tu sais. Le trouillomètre à zéro. Circulez y ‘a rien à voir Galantine de volaille pour dames frivoles. Les morues se dessalent. Ça baigne dans le béton. Baisse la pression, tu me les gonfles! Renifle, c’est de la vraie. Le cri du morpion. Papa, achète-nwi une pute. Ma cavale au Canada. Valsez. pouffiasses. Tarte aux poils sur commande. Cocottes-minute. Princesse Patte-en-l ‘air Au bal des rombières. Buffalo Bide. Bosphore et fais reluire. Les cochons sont lâchés. Le hareng perd ses plumes. Têtes et sacs de noeuds. Le silence des homards. Y en avait dans les pâtes. Al Capote. Faites chauffer La colle. La matrone des sieepinges. Foiridon à Morbac City. Allez donc faire ça plus loin. Aux frais de la princesse. Sauce tomate sur canapé. Mesdames vous aimez « ça ». Maman, la dame fait rien qu’à me faire des choses. Les huîtres me font bâiller Turlute gratos les jours fériés. es ne sont jamais Lepétomane ne répond plus. T’assieds pas sur le compte-gouttes. De l’antigel dans le calbute. Hors série: L’Histoire de Fronce. Le s:andinge. Béru et ces dames. Les vacances de Bérurier~ Béru-Béru. La sexualité. Les Con. Les mots en épingle de Françoise Darii Si « Queue-d’âne » m’était conté. Les confessions de I ‘Ange noii Y a-t-il un Français dans la salle? Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants. Les aventures galantes de Bérurier. Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches? La vieille qui marchait dans la mer. San -A ntoniaiseri es. Le mari de Lion. Les soupers du prince. Dictionnaire San-A ntonio. Ces dames du Palais Rizzi. La nurse anglaise. OEuvres complètes: Vingt-cinq tomes parus. SAN-ANTONIO BAISSE LA PRESSION, TU ME LES GONFLES! Édition originale parue dans dans la même collection sous le même numéro Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5. (10 et 3” a). d’une part, que les • copies ou reproductions strictement réservées àl’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exempte et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code dc la propriété intellectuelle. 0 1988, «Éditions Fleuve Noir» A mon cher Fred HIDALGO en souvenir des temps anciens SAN-A. En ce temps-là, San-Antonio dit à ses disciples - Regardez bien les hommes. Et maintenant, regardez-moi! « Vous ne trouvez pas que je leur ressemble? » AVANT-PROPOSE Elle avait travaillé en qualité d’infirmière, dans sa jeunesse - ce qui remontait à lurette. Il lui en restait une certaine connaissance des maux et des mots. Elle dit au médecin, alors qu’il examinait son bonhomme: - Cela a commencé par des frissons, une très forte température, de la céphalée, une rachialgie lombaire, des vomissements, de la constipation et des douleurs épigastriques. Le toubib auscultait Sammy Ferguson en pensant qu’au retour il devrait montrer sa Chevrolet au garagiste. Elle produisait un cliquetis inquiétant et il craignait pour ses soupapes. Mrs. Ferguson ajouta: - Vous savez à quoi j’ai pensé, docteur, quand j’ai vu surgir une éruption de type morbilliforme? Le médecin ne répondit pas. II était en train de se dire qu’il consulterait le garagiste plus tard car il devait passer visiter Molly Heigerter, laquelle se plaignait de n’importe quoi pour le seul plaisir de le faire venir chez elle. Pendant qu’il l’examinait, elle lui caressait la queue à travers son pantalon. Il feignait de ne pas s’en apercevoir mais prolongeait l’auscultation pour permettre à la salope de mener les choses à leur terme. La dernière fois, il avait déchargé dans son calbute, ce qui procure un bonheur intense, mais se révèle source BAISSE LA PRESSION, d’ennuis par la suite, à moins de disposer d’une salle de bains et d’un slip de rechange. Il avait demandé « après » la permission d’aller « se laver les mains », ce qu’on lui avait accordé bien volontiers et en toute compréhension, mais il avait eu beaucoup de mal àremettre de l’ordre dans son futal. Néanmoins, ce nouvel appel de Molly Heigerter allumait tous les feux de l’enfer sous sa peau! Mrs. Ferguson ne se laissa pas déconcerter par son silence et reprit - J’ai pensé à la variole, docteur. Cette fois, le médecin haussa les épaules. - La variole n’existe plus, mistress Ferguson. Elle a été totalement vaincue et même dans les contrées les plus reculées d’Afrique, elle se tient tranquille. Il bandochait confortablement en songeant à Molly Heigerter. La hâte du cul l’emparait et le vieux Ferguson commençait à lui battre les roustons avec ses vésicules rosâtres pleines d’un liquide transparent (il lui en avait pressé une pouAh !). La vieille dame n’insista pas. - Alors ce serait quoi, selon vous, docteur? - Une grippe intestinale d’origine virale entraînant une éruption de boutons. Si Molly Heigerter « remettait ça », tout à l’heure, il est probable qu’il réagirait et même participerait. Il avait envie de lui faire minette car elle possédait des cuisses pulpeuses et une chatte qu’il devinait délectable. Pour terminer, il l’amènerait au bord du lit, les jambes pendantes et l’enfilerait à la langoureuse, se tenant appuyé au matelas, de part et d’autre de la patiente, du plat des mains, ce qui lui permettrait de la voir prendre son pied. Pourtant, il s’était toujours promis de ne jamais copuler avec une cliente. Nombre de ses confrères qui s’étaient laissés aller à ce genre de faiblesse avaient eu à la regretter par la suite. S’il sautait Molly Heigerter, devrait-il lui faire cadeau de la consultation? TU ME LES GONFLES! 15 - Vous dites qu’il n’a plus de température? grommela le bon docteur Smith. - La fièvre est tombée brusquement, au quatrième jour, et cela aussi m’a fait penser à la variole, assura-t-elle timidement. Le toubib prit une voix grondeuse: - Ecoutez, mistress Ferguson, je ne veux plus entendre ce mot de variole tombé en désuétude! Si quelqu’un d’autre, appartenant au corps médical, vous entendait, il se moquerait de vous! Elle eut un acquiescement éperdu, pétri d’excuses en vrac. - Je disais parce que... - Alors ne dites plus, je vous en conjure! Il se redressa, rabattit la veste de pyjama de son patient et fourra son stéthoscope dans sa grande trousse noire. - Je vais vous faire une ordonnance, dit-il. Le fait que la température soit tombée indique que nous sommes dans la phase finale de cette grippe. Surtout: ni laitages, ni végétaux crus jusqu’à nouvel ordre! Il eut de la peine à marcher, à cause de son sexe dilaté. Décidément, il s’embroquerait la Molly, c’était décidé. Il avait passé une nuit blanche à l’hôpital où il était de garde et la fatigue attisait ses sens. A trente-cinq ans, tu ne peux pas charrier un membre de cette vigueur tout au long de la journée. D’autant que son épouse n’était pas opérationnelle depuis la veille et que son assistante avait congé. Il rédigea l’ordonnance promise, adressa un hello distrait au malade, donna une tape sur l’épaule de sa rombière et s’éclipsa. Sa chignole cliquetait de plus en plus. Smith en fut chagriné; ces sales cons de garagistes jouent de l’ignorance de leurs clients plus impunément que les toubibs, retenus par leur conscience. Peut-être que le bruit de la Chevrolet était dû à une cause bénigne mais le père u, BAISSE LA PRESSION, Cassidi, le garagiste, prétexterait des avatars compliqués pour lui présenter à l’arrivée une note longue comme un rouleau de papier peint! Salaud! Quand il atteignit le cottage des Heigerter, posé, tel un jouet, sur une pelouse vert pomme, il fronça les sourcils en apercevant la camionnette du mari devant l’entrée. Son désir se mit à panteler. Merde! Si les époux se mettaient à rester chez eux dans la journée, son job allait perdre une bonne partie de ses attraits! Fred Heigerter vint lui ouvrir, le visage soucieux. - Ah! vous voilà, doc! Je me fais du souci pour Molly. - Qu’est-ce qui se passe? - Elle est en pleine anorexie: quatre jours qu’elle n’a rien avalé, sinon du thé froid! A croire qu’elle a décidé d’entreprendre une grève de la faim, cette connasse! - Des problèmes dans le ménage? questionna Smith, l’oeil vaseliné. - Bon, disons qu’elle n’est guère en train pour accomplir son devoir conjugal. Il rit, comme un con qu’il était. Un beau vrai et total con, songea le docteur. Un con indéniable, flagrant! Presque réconfortant si on y réfléchissait. - Et ça crée un conflit? insista le praticien. - Ben, ça crée que je déteste me mettre la ceinture, doc, comprenez-moi! Un couple, il est fait pour fonctionner, non? - Certes, admit loyalement l’arrivant. Bon, je suppose qu’un peu de déprime passe par là; les femmes sont des bibelots fragiles, vous savez, Fred. Je vais essayer de voir ce qu’il y a dans sa petite tête. Vous devriez nous laisser. Si elle vous sent présent dans la maison, elle risque de ne pas se confier pleinement. - Vous avez raison. J’ai quelques sacs d’engrais àlivrer à Lake City, je vais en profiter! Il grimpa sans plus attendre dans sa camionnette et ce que le docteur Smith ressentit pour lui à cet instant ressemblait à une solide amitié d’enfance. TU ME LES GONFLES! Il était reconnaissant à cet indicible cocu de se retirer si volontiers, si prestement, lui laissant le champ et le cul de sa femme absolument libres. Le docteur regarda s’éloigner la camionnette blanche où s’étalait, en vert végétal, la raison sociale du cornard. Réconforté par tant d’infinie complaisance, il gagna la chambre de Molly. Elle l’attendait dans une chemise de nuit transparente, décolletée jusqu’aux abords du nombril. C’était une jolie fille aux cheveux châtain foncé avec des reflets roux, et à la peau très pâle parsemée de taches de son. Elle possédait un regard bleu sombre, pratiquement marine, qui faisait passer des messages. Son visage grave n’alarma pas le médecin. Il lisait une ironie pétillante dans les prunelles de la pseudomalade. - Alors, il paraît que le moral donne de la bande, madame Heigerter? fit Smith en s’asseyant au bord du lit. Sans répondre, elle lui saisit le palonnier d’un geste prompt et informé. Cette bougresse le convoitait tellement que sa main tremblait d’impatience. Pourquoi à cet instant le docteur songea-t-il qu’il avait omis de se laver les mains après l’auscultation du vieux Ferguson? C’était contraire aux règles les plus élémentaires d’hygiène. Pour comble, il avait pressé un de ses bubons à la con, à travers un tampon de gaze, certes, mais le geste n’en comportait pas moins des risques de contagion. Il fut tenté d’échapper à la main vorace qui lui malaxait les bas morœaux pour procéder a des ablutions, il se retint en songeant que MoHy risquait d’interpréter la chose comme une rebuffade et de renoncer à ses initiatives. Alors, il se laissa aller. Complètement. * ** 18 BAISSE LA PRESSION, tômes, les pustules recouvrant la face et le torse du vieux Ferguson se firent plus nombreuses et se rompirent. La fièvre reprit. II fut en proie à des hémorragies multiples qui s’aggravèrent et il mourut en moins d’une semaine après que le pauvre docteur Smith, débordé, l’eut enfin fait conduire à l’hôpital de Garden Walley. Dans l’intervalle, une maladie identique frappa Molly Heigerter. Des analyses de sang montrèrent une mononucléose et une myélocytose. Un oedème de la glotte avec suffocation se déclara, qui faillit l’emporter, mais sa robuste constitution lui permit d’en réchapper. Elle guérit, gardant sur son beau visage d’exquise salope une multitude de petits cratères qu’elle eut bien du mal, par la suite, à mastiquer avec des fards. Ferguson et Molly Heigerter ne furent que les deux premières victimes d’une longue série qui devait décimer dans la contrée une vingtaine de personnes (parmi les plus fragiles : vieillards, enfants, femmes enceintes) et rendre très malade plus de la moitié de la population. Les services de santé alertés identifièrent une réapparition de la variole, ce qui devait donner raison à la veuve Ferguson, dont le diagnostic était meilleur que celui du sensuel docteur Smith. La région fut mise en quarantaine. On s’empressa de fabriquer à nouveau du sérum antivariolique afin de protéger les citoyens et une bonne partie de l’Etat du Maine fut vacciné. Une commission d’enquête, nommée par la Faculté de Médecine d’Augusta, fut chargée de chercher l’origine de cette étrange réapparition, dans une nation saine, d’une maladie depuis longtemps jugulée. Il y eut des conférences de presse, d’éminents articles, des interviewes de sommités internationales. Mais rien de décisif n’apparut. L’on finit par croire que cette résurgence était due à quelque voyageur contaminé par un séjour dans une contrée où la variole restait encore endémique, malgré la belle certitude des médecins qui la réputaient vaincue. Comme ce début d’épidémie avait été enrayé, on l’oublia, d’autre préoccupations mobilisant l’opinion publique. TU ME LES GONFLES! 19 A cause de son visage grêlé, Molly Heigerter devint réellement neurasthénique et se refusa définitivement àson mari. Mais comme il n’avait plus envie d’elle, tout fut pour le mieux dans le pire des mondes! DESSINE-MOI UNE BITE Il me dit, à brûle-pourpoint, en me tendant son stylo feutre: - Dessine-moi une bite, Tonio! Bon. Moi, pas bégueule, je lui dessine une bite. Stylisée. Il regarde mon graffiti de pissotière, pensif, puis me dit: - T’as remarqué, Tonio, tous les mecs que tu leur demandes de te dessiner une bite, ils la représentent àl’horizontale, avec les roustons de profil; ça ressemble à un canon braqué. ren as jamais qui la dessinent à la verticale, c’est-à-dire pendante. Pourtant on bande peu de temps dans une journée, non? Et le bout de ton noeud regarde plus souvent tes pieds que ton front, non? - C’est vrai, conviens-je, frappé par l’argument du môme Toinet. II me dit: - On voit que t’as un gros paf, toi. La bite que tu viens de dessiner tient toute la feuille! - Comment sais-tu que j’ai un gros paf, Toinet? je lui demande, par « curieusité ». - Je l’ai vu, dit-il avec simplicité. Le nombre de fois que j’ sus entré dans ta chambre juste comme tu sortais de ta douche... J’ai envie de lui objecter qu’un paf fraîchement douché n’a pas le carénage d’un paf en exercice. Il me dit, pour désamorcer ma remarque: - Et puis aussi, je t’ai vu sabrer Maria, la bonniche. Alors là, t’y mettais une verge de bourrin, Tonio! Plus conséquente que mon poignet! Bien plus! Au départ je comprenais pas qu’ c’était ton chibre, m’ semblait qu’ t’avais un troisième bras! Cette révélation me plonge dans une gêne qui bloque ma respirance au niveau de la glotte. - Quand m’as-tu vu baiser Maria, Toinet? j’articule, pour dire de réagir. Il me dit: - Un aprème que j’étais rentré plus tôt de l’école et qu’m’man Félicie était en course. La Maria gueulait comme une putoise. Tu penses, avec un mandrin pareil dans les miches, ça n’avait rien de surprenant! Elle avait besoin d’en causer! - Je n’avais pas fermé la porte à clé? m’inquiété-je, troublé. - Si, mais t’avais pas bouché le trou de la serrure et, à travers lui, on a une vue directe sur ton plumard, je te signale. Je devrais pas te le dire, maintenant tu vas te gaffer de la chose et accrocher ton slip après la clé. Si bien que pour mater, tintin! Il rit. Notre converse n’a rien de pervers, je te rassure. Moi, c’est pas mon style de dévergonder un gamin de douze ans. On cause entre hommes, le plus simplement du monde. Y a que les viceloques pour y trouver malice. On bouffe tête à tête, Toinet et moi. Ma chère vieille est à Abano, pour une cure contre ses rhumatismes. Il lui en est venu brusquement un peu partout : épaules, poignets, genoux. Le doc l’a expédiée chez les Ritals prendre des bains de boue. Ça fait trois jours qu’elle batifole dans la gadoue, Féloche, et déjà elle ressent un grand mieux. Dès lors, je m’occupe davantage du môme, m’efforçant de rentrer pour le dîner, malgré ~Af~t LA PKL~SS1ON, mes occupes. Maria n’a pas assez de poigne pour lui faire lâcher les programmes avant l’extinction de la dernière des chaînes. Le frichti n’a pas le raffinement de celui de ma vieille. On donne dans les oeufs au jambon, les nouillettes au beurre et la saucisse de Toulouse au riz, depuis son absence. Il me dit: - Ç’est dingue ce qu’elle peut avoir comme poils au cul, Maria. - Tas eu le temps de constater ça! m’étonné-je. - Mouais, et à tête reposée. Elle me montre quand je lui réclame. - Quoi! égosillé-je. Justement, elle est en train de chantonner dans la cuistance, l’ancillaire. L’absenœ de ma Félicie ne la chagrine point trop. Elle chique les maîtresses de maison. Ses responsabilités lui donnent de l’importanœ. C’est le coup classique. Quand tu veux calmer un garnement turbulent, tu le charges de surveiller la classe; et alors il change tout au tout, devient fumier rapineur, intransigeant! - Maria te laisse regarder son cul! m’étranglé-je. - A la demande, répond placidement Toinet. - C’est une vicieuse, cette Espanche! - Non : une peureuse. Je lui ai dit que je t’avais vu la sabrer et que si elle ne me laissait pas regarder, je le dirais à m’man Félicie. Alors elle glaglate et me montre tout ce que je veux. Bientôt, j’y demanderai de toucher; ça devrait pouvoir s’arranger. Et puis un jour, p’t’être... Mais rien ne presse, j’ai qu’ douze ans! Il écrase son jaune d’oeuf avec un gros morceau de pain qu’il s’enfourne ensuite dans la clape. II m’adresse un clin d’oeil. A travers sa mastication il questionne - Tes pas jalmince, j’espère? - Non, mais j’ai horreur du chantage! La contraindre à poser sa culotte en la menaçant, c’est dégueulasse! Il engloutit son morceau de pain chargé d’oeuf. - J’ lui demande pas de pognon, Tonio; là, oui, TU ME LES GONFLES! 23 c’ s’rait moche. Juste de me laisser regarder son cul! J’ai ma sexualité qu’est en marche, grand; faut que j’assume! Note qu’elle m’insulte pendant que j’ mate. En espagnol, mais je comprends le sens général. Elle doit m’ traiter d’ crapule, de goret, de bouc et d’ voyeur, des trucs, quoi! Mais j’m’en moque, du moment que j’y examine la moule! Quoique, frisée à ce point, ça fait un peu peur. Tu dirais qu’elle est en train d’accoucher d’un nègre! Tes obligé d’ la coiffer avant de la pointer, je parie, non? Il éclate de rire et des particules de bouffe voltigent dans l’air à la ronde. Maria survient avec une salade de mâche-betteraves rouges. L’hilarité de Toinet l’inquiète. Et voilà que moi, ça me gagne aussi. J’imagine Toinet, aux premières loges, en train de détailler le trésor de l’Espagote. Pas marrant, d’être servante. Le plus terrible, c’est cette passivité, oette résignation dont « elles » font preuve. Quand la robotique aura pris leur place, aux soubrettes, les Droits de l’Homme auront fait un nouveau pas en avant, comme disent les politicouilles de mes deux chéries. - Porqué vous rire? s’inquiète la brunette. Elle est comestible, la môme. Y a quelque chose d’excitant chez les domestiques femelles. Pourtant, je te le répète, je ne suis pas un pervers. Simplement un « dru ». La famille champignon, quoi! - II vient de me raconter une blague, la rassuré-je. - Celle des avions d’Ibéria qu’ont des poils sous les ailes! pouffe Toinet, incorrigible. Et de rire à gorge rabattue. Vexée, la Maria retire nos petits plats à oeufs pour nous permettre de claper sa salade. - Tu devrais lui placer une petite paluche polissonne, sinon elle va faire la gueule! avertit le môme. Tas remarqué, ces Espingos, comme ils se vexent pour des riens? Je m’abstiens de suivre son conseil, par décence et, fectivement, la belle Maria s’emporte en maugréant. 24 BAISSE LA PRESSION, Il me dit - T’sais l’idée qui m’est venue, Tonio? Magine-toi qu’on a congé jeudi prochain. C’est « le jour du maire »... Si je manquerais l’école le vendredi, ça me ferait cinq jours de vacances et on pourrait aller voir m’man Félicie à Abano. T’imagines sa joie si elle nous verrait rappliquer tous les deux à l’improviste? Je réfléchis - Ce ne serait pas raisonnable, môme. Tes prestations scolaires sont trop foireuses. - Tu crois que c’est en un vendredi qu’ je rattraperais mon retard, grand? Faut s’faire une raison, t’sais: j’vais redoubler ma sixième; alors, tant qu’à faire... Moi, j’s’rais d’ toi, j’hésiterais pas. Voilà qu’il me flanque l’envie de décarrer, l’arsouille! C’est vrai que l’idée est à creuser. J’imagine m’man, son sourire en tranche de pastèque si elle nous trouvait assis dans son albergo en rentrant de son bain de merde. - Jeudi prochain, c’est après-demain! réfléchis-je. - T’as gagné la question à vingt balles, Tonio. On pourrait soite partir œ soir si on y va en bagnole, soite prendre l’avion demain, j’ai maté ton horaire AirFrance : y a un zinc pour Venise demain matin vers dix plombes. - Et mon boulot? - Fais-le faire par le Négus et Béni. Ça sert à quoi les esclaves? - Ten prends à ton aise, gamin. - Faut vivre, non? Et puis qu’est-ce tu ferais de moi mercredi, jeudi, samedi, dimanche? J’peux pas passer quatre jours devant la téloche ou la craquette de Maria. Tes gonflant, dans ton genre. Je solutionne tes problèmes et t’ergotes! - On va voir, me retranché-je. C’est pas si simple. - On pourrait même emmener Maria, si t’es aux as. Tu l’imagines sur une gondole, avec son poilu de quatorze ent’ les cannes? Ça f’rait triquer 1’ gondolier, surtout qu’elle sait pas s’asseoir bas, Maria. L’aut’ jour, TU ME LES GONFLES! 25 elle se tenait sur l’escalier pour la barre de cuivre, d’puis l’entrée on matait sa culotte avec le cresson qui débordait! - Franchement, môme, je ne vois pas la nécessité de l’emmener avec nous. - Parce qu’on y va! bondit le madré qui ne laisse rien passer. Comme ça il m’a eu, Toinet. Deux coups les gros, vite fait bien fait! Lui, il commence par te demander de lui dessiner une bite et tu te retrouves à Venise sans avoir très bien compris le tour de passe-passe. Faut dire que ça paye. Dès le lendemain, aux aurores, il bordélise la maison, le loupiot! On s’est préparé une valoche chacun, avec le minimum. Bagages accompagnés. Le rêve. Rien de plus détestable que de morniser devant un tourniquet d’aérogare où dodelinent des valises. Guetter la gueule béante du dévaloir pour attendre les siennes me file des fourmis sous les valseuses et des crampes d’écrivain dans les panards. Alors bon: on a chacun son mignon baise-en-ville et nous voilà partis. Maria est déçue à mort par cette décarrade. Je l’ai astiquée un grand coup cette noye, pendant que Toinet pionçait, histoire de lui. Et ç’a été nickel. Pas que ce soit l’affaire du siècle au pucier, l’Espanche, mais elle participe avec fougue et même se lance à me turluter la guiguite, ce qui n’est pas tellement une spécialité d’outre-Pyrénées. Mais je pense qu’elle m’aime et l’amour pousse une femme à exécuter tous les désirs du mâle, c’est connu. Elle pleure en nous disant bye-bye. Je fais mine d’être ému et on taille la route. Une fois à Charles-de-Gaulle, Toinet me fait remarquer que nous n’avons pas recommandé à Maria de taire notre voyage à m’man pour le cas où elle BAISSE LA PRESSION, téléphonerait ce morninge. Si elle lui balance qu’on est en route pour la voir, notre venue ne sera plus une surprise. Il a raison, aussi me précipité-je dans une cabine téléphonique afin d’alerter ma maîtresse-servante. Ma voix lui arrache un long roucoulement. - Moussié, moussié, vous faites bien dé m’appéler! Jé viens dé recevoir oune commounication d’un moussié qu’il voulait absolumenté vous jouandre. Vous dévez I’appéler tout dé souite à Vienne dans la Autriche. - Il n’a pas dit son nom? - L’a dit qu’il était oune vieil amigo : messié Félix. Et il va mourrrrir si vous ne pas l’appéler tout dé souite immédiatémente. M. Félix! Tiens, un revenant! Des années que je suis sans nouvelles de l’illustre professeur, fameux par son sexe dont le calibre ridiculise celui de Bérurier! Le cas anatomique du siècle! Une chopine d’un demi-mètre de long sur huit centimètres de diamètre! La dernière fois que je l’ai rencontré, il vivotait en déposant la photo phénoménale de ses attributs sur la table des dames seules, dans les brasseries. Au dos figuraient ses coordonnées. Les personnes intéressées entraient en contact avec lui et il monnayait les instants incomparables passés avec ces femelles solitaires. Une forme délicate de prostitution. Ce vieux désabusé, sceptique, misogyne, misanthrope, ne cherchait plus à vivre de son érudition. II comptait davantage sur sa queue que sur son savoir, ayant enfin réalisé que dans ce monde corrompu, la première lui valait plus de considération que le second. Et voilà qu’il me virgule un S.O.S. depuis Vienne, Autriche. Moi, un pote qui crie au secours, tu me connais? Cette fois j’engouffre le bureau de poste de l’aéroport pour appeler le numéro que m’a répercuté la sombre Maria. Toinet rouscaille qu’on va être appelés d’ici peu et qu’il s’agit pas de rater le zinc. - Vous avez Vienne en ligne! TU ME LES GONFLES! 2/ Une voix féminine, un peu caverneuse because trop de schnaps, me répond. Je Lui réclame Herr Félix. « Momente », me répond-elle. Et puis c’est l’organe (pas le gros, l’autre) du Prof. - Seigneur! Déjà vous, Antoine. Je vous reconnais bien là. - Que se passe-t-il, cher ami? - Je suis traqué, très cher. Si je n’avais pu, grâce àmon sexe dont vous connaissez la particularité, convaincre une dame de m’accorder asile, je serais déjà mort. - Vous me racontez? - Trop long, trop délicat, trop dangereux. Peut-être allez-vous me trouver gonflé, mais serait-il envisageable que vous vinssiez me rejoindre? Je pense fort à m’man, là-bas, dans la gadoue d’Abano. Un petit air de dessous-de-plat à musique m’égratigne l’âme. - Donnez-moi votre adresse, Félix. - Vous êtes un garçon unique, exulte le Prof. Je séjourne chez Frau Gretta Muelner, 16 Platz am Hof. Une dévoreuse, Antoine! Il faut la sauter toutes les heures: mon salut provisoire est à ce prix. C’est dur, car je suis devenu vieux pendant que vous aviez le dos tourné. Je dois tricher, mon petit, m’économiser, aussi, ne tardez point trop. - J’arrive! Clinc! J’ai raccroché. Derrière la vitre, Toinet trépigne. - T’as pas entendu? Ils ont appelé le vol Al Italia pour Venise, grand! J’opine mollement. - Y a changement de programme, petit mec. - Quaouoi? s’étrangle l’arsouille redoubleux de sixième. Je tire mon horaire Air-France de mon baise-en-route. Ce bol! Y a un flighz Air-France pour Wien dans une heure quarante. Et qui part du même aéroport! - T’as vu jouer les Sissi impératrice, môme? 28 - Videmment. De la branlette! Plus sucré que ça, tu dégueules! - On va tout de même aller dans son pays, dis-je. Le Beau Danube Bleu, Toinet! Le Troisième Homme! La Grande Roue! Les calèches tirées par des chevaux blancs... Tu vas bicher un de ces pieds géant! - Et m’man Félicie? objecte-t-il gravement. Je prends tous les risques: - Nous irons la voir le week-end prochain. Alors là, il tourne radieux, l’Espiègle. - Comme ça, banco, grand. J’sus ton homme! DESSINE-MOI UN PAUVRE CON Toujours impétuoser dans la première croisade venue, ça finira bien par craquer, un jour, à force d’à force! Un glandu sorti de ma vie par la porte de secours, depuis lurette, me virgule un S.O.S. fumeux et poum! v’là le vitrier qui passe! Tant va le cachalot qu’à la fin il se glace, comme dit finement Béru, à qui rien de ce qui est con n’est étranger. Ça finira par se présenter, la méchante couillerie, le sale gnon irrémédiable, la bastos imparable, l’os mauvais qui te déguise en mort ou en géranium. A ça que je gamberge dans le taxoche qui nous drive jusqu’à la Platz am Hof où Félix verge une vieille Viennoise en m’attendant. Toinet ne moufte pas, le pif collé à la vitre. Déjà la grosse Mercedes noire et le manteau de cuir du driver l’ont impressionné. Ça fait voiture de maître. C’est compassé. Ça sent le militaire de luxe. II mate Vienne, ses artères romantiques, les calèches que je lui ai promises, conduites par des cochers de cérémonie en chapeau melon taupé. Dans quelle foutue béchamel s’est-il filé, le vieux Félix? L’érudit ambulant! Le philosophe décavé. Nihiliste à bloc,- ne croyait plus ni en Dieu ni en l’homme. Son immense savoir, sa queue plus immense encore constituent pourtant de sacrés atouts! Mais lui, il en a eu quine d’affronter jour après jour la même armée de pommes. Analphabètes et méchants, dirait mon pote 30 BAISSE LA PRESSION, Cavanna. Leur enseigner quoi? Leur coller son braque dans les miches, pourquoi? Et ils restent muets, tous, comme des panneaux indicateurs qu’un mauvais farceur aurait peints en noir. Ils te pompent la bite et la science, mais n’offrent rien en contrepartie. C’était ça qui lui amochait le mental, Félix. Il en avait conçu un lent désespoir cousin germain de la neurasthénie. La dernière fois que je l’avais rencontré (rencontre providentielle pour lui), il était entre deux agents qui le drivaient au commissariat, l’ayant pris en train d’exhiber son formidable paf dans les couloirs du métro. Il essayait de leur expliquer qu’il n’était pas un sadique, mais que cette démarche constituait pour lui un mode d’expression; tu parles, les pandores, comment qu’ils réfutaient un tel langage! Je l’avais délivré de leurs griffes rapaces, et puis on avait vécu une aventure, les deux. Me rappelle plus très bien laquelle, si ça t’intéresse t’as qu’à compulser dans mes hautes et basses z’œuvres complètes. Je crois que le bouquin en question décarre à la Porte Saint-Martin, voire SaintDenis... C’est du kif. Et puis quelle importance? Ça a juste été un moment, désormais englouti. C’est passé, c’est fini. On continue à se bricoler des souvenirs àoublier! Je carme le bahut. Y a fallu que je change des francs, à l’aéroport. Je laisse un pourliche de Kronprinz, ce qui me vaut une raide courbette du chauffeur. Il me tient la portière kif je serais un Herr General. Ça coupe le sifflet à Toinet, vu que chez nous, les taximen, tout juste qu’ils s’arrêtent quand tu descends. Ils gardent le bras à la portière et répondent nib à ton au revoir. Rien qu’est plus malheureux qu’un taxi parigot, si on en croit sa frime sinistrée, son hostilité permanente. L’air d’avoir enterré toute sa famille avant de venir et qu’un client pervers l’a emmanché dans une impasse avant de lui secouer sa comptée. Je regarde la Platz am Hof, avec ses immeubles de couleur: lie-de-vin, jaune paille, gris bleuté. Le genre d’endroit que j’aime. Le passé y est enroulé sur lui- TU ME LES GONFLES! 31 même, tel un chat devant l’âtre; et si tu prêtes l’esgourde, tu l’entends ronronner. Je jette un oeil indécis à Toio~t. Il le capte et l’interprète. - Non, le grand, dit-il : compte pas que je t’attende en bas. Je suis pas venu ici pour poireauter sur une place! - J’ai rien dit! bougonné-je. - Tas rien dit, mais j’ te connais, mec. Il franchit le porche du 16 d’un pas décidé. Après tout, si par hasard l’immeuble est surveillé, le môme constitue une bonne couverture. On grimpe au troisième et je drelingue à la lourde de la dame Mueiner. Y a tout un bigntz avant qu’on ouvre. On perçoit des glissements feutrés, des portes qu’on ferme à l’intérieur, des loquets qu’on fait jouer. Et puis une créature de mauvais rêve apparaît par les vingt centimètres d’ouverture. Il s’agit d’une dame au teint plus que blafard de pierrot, à la chevelure orange, coupée court sur les côtés et dressée en crête de coq sur le sommet. La personne est drapée dans une robe de chambre qui ne cache pas la puissante gibbosité dont son dos est affligé. Son hâtif portrait serait incomplet si je ne te précisais qu’elle a dû dépasser les soixante-dix carats depuis des temps immémoriaux. - Vous désirez? me demande-t-elle en autrichien. - C’est à moi que le monsieur qui est ici a téléphoné ce matin, madame Mueiner, lui réponds-je en allemand, dialecte qu’elle perçoit parfaitement. - Je ne sais pas ce que vous voulez dire, fait-elle. Toinet a fait un pas en avant pour admirer la bosse de la dame. Il siffle et lance: - Tas maté ce compteur à gaz, Tonio? On dirait qu’elle coltine un sac tyrolien! Mais ma préoccupation est autre. Il est visible que la mère Carabosse chocotte. Ils n’ont pas dû accorder leurs violons, Félix et elle. Alors, moi, je lui distribue un sourire large comme la représentation du parti BAISSE LA PRESSION, socialiste sur l’éventail de la Chambre des députés et je lance, vibrant, enjoué: - Ho! Ho! Félix! C’est San-Antonio! Toinet me dit: - Tu connais l’histoire du mec qui encule un bossu, grand? Y lui caresse la bosse et y dit « Oh! la belle poitrine! » Je ne m’esclaffe pas, pour deux raisons : la première parce que je la connaissais; la seconde parce que Félix vient de surgir, depuis le fond du couloir, vachement décati et délabré, dans un pyjama à rayures trop grand pour lui. Il marche sur le bas du pantalon. Les manches dépassent ses mains de vingt centimètres et tu pourrais loger trois gonziers comme lui dans le vêtement sans qu’ils soient incommodés par la promiscuité. Pour vieillir, il a vieilli, le Prof. Son crâne en forme de suppositoire paraît plus pointu et plus blafard que jadis, son nez plus long, son strabisme plus convergent. Sur les côtés de la tête, de longs cheveux raides, presque entièrement blancs, composent une sorte de petite cape pour emmitoufler ses oreilles. Quant aux rides, c’est le méchant chassé-croisé autour des yeux et de la bouche. L’entrelacs perfide du temps. Ça me rappelle les murs des maisons de pisé de mon pays natal, quand elles commencent à flancher. Félix, faudrait pas l’abandonner tout mouillé dans les hivers, sinon sa bouille éclaterait pour de bon. Son regard en binocle est bourré d’une indicible détresse qui me fait froid à l’âme et aux miches. Il s’avance d’une allure de somnambule; et c’est vrai que dans ce vieux pyje provenant sans doute d’un époux mort, t’as l’impression qu’il va marcher sur le bord des toits, les mains en avant, comme sur les dessins humoristiques de l’Almanach Vermo:. - Antoine! balbutie-t-il, oh! cher, inoubliable Antoine. Il n’est que vous pour faire montre d’un pareil dévouement. Comment va M~ votre mère? - Très bien, merci. - Vous êtes toujours à marier? TU ME LES GONFLES! 33 - Toujours. - Et Marie-Marie? - Veuve! - Quel malheur! - Non. - Ah! bon. Vous nous l’épouserez bien un jour, n’est-ce pas? - Si j’atteins l’âge de la retraite, pourquoi pas! - Oh! cruel! Qu’attendez-vous pour fermer la porte, Gretta, mon tardif amour! lance-t-il en allemand à son hôtesse. Cette vieille chaussette mal reprisée me tape sur les nerfs, me lanœ-t-il. Elle m’a, certes, sauvé la vie, mais je parviens mal à lui exprimer ma reconnaissance, sinon au lit, car sa gibbosité m’excite. Je n’avais jamais baisé de bossue, Antoine. Elle n’aurait pas eu cette monumentale cyphose, je ne me serais pas senti capable de fliquer cette portion de cauchemar. La nature humaine est fantasque, n’est-ce pas? Capricieuse au-delà de toute logique. Et ce jeune garçon, qui est-il? - Mon fils adoptif. - Bravo! II est tellement mieux de réparer les erreurs des autres plutôt que d’en commettre soi-même. C’est ce sacré instinct de reproduction qui a tout foutu par terre. Préserver l’espèce! Foutaise! L’espèce de quoi, Antoine? Nous allons prononcer le mot ensemble : l’espèce de... cons! Oui, merci! A propos de cons, comment va Bérurier? Toujours égal à lui-même? Ma question est stupide, comment en serait-il autrement! Le soleil est brûlant, la mer salée et Bérurier est... Bérurier! Quelle joie de vous revoir! Il est saisissant dans son incroyable pyjama, le Prof. - Je suis certain que ce charmant garnement ne fiche rien en classe, n’est-ce pas? Oh! ce n’est pas un cancre, presque son contraire; mais il aime trop La liberté pour apprendre des choses qu’il n’a pas envie de savoir! Et comme il a raison! « Quand je pense que j’ai passé des années de ma vie - les plus belles! - à enseigner des matières sans 34 BAISSE LA PRESSION, importance que les moins mauvais de mes élèves oubliaient sitôt leurs bordels d’examens passés. Tenez, je me rappelle une série de cours sur Nerval! Je vous demande un peu! Nerval! Vous voulez que je vous révèle une chose, Antoine, ainsi vous ne serez pas venu pour rien: Nerval, c’est un chiant! Les Filles du feu? Laissez-moi rire! L’air était frais et embaumé! Et ce con qui se couchait sur la bruyère... Et merde! Sylvie? Je l’encule, moi, Sylvie, mon cher ami! Je lui en fous plein les miches, jusqu’aux roustons! Et vous savez mon membre! Je voudrais la traverser de part en part! L’embrocher, Sylvie! Le bal, les mélancolies! Ce que j’ai honte, après coup, d’avoir infligé ce brouet de mots à des innocents qui ne demandaient qu’à jouer et à se masturber en paix! Je dis Nerval, parce qu’il me vient àl’esprit, ce foutraque. Mais j’en ai deux douzaines d’autres à vitupérer! Ah! comme j’aimerais pouvoir reprendre toutes ces leçons semées! Récurer ces adolescents de Nerval et des autres foireux! Mais ouichtre! Ils sont devenus hommes, les gueux! Ils sont devenus gras et mesquins! Barristes, décorés, riches! Ils sont devenus cons, Antoine, cons irrécupérables. Il n’existe aucun Lourdes de suprême instance pour la connerie! Plus aucun espoir, fût-il d’obédience divine! La minéralisation de la connerie est dé-fi-ni-tive! Ariel ou 0mo anticalcaire n’y peuvent rien! « Gretta, ma chère âme, offrez donc à ce petit garçon l’un de ces biscuits viennois qui constituent l’ultime manifestation des fastes impériaux de François-Joseph. J’ai à parler avec mon merveilleux ami. Ne me violez pas le garçonnet surtout, infâme truie aussi merdique que son Danube couleur de pisse trouble. Venez par ici, Antoine. La vieillarde possède un petit salon avec une cheminée où flambe un vrai feu. Nous y serons àl’aise pour converser. Comment t’appelles-tu, cher mauvais élève? Antoine, toi aussi! Mais c’est une dynastie! » - Non, cher Félix : une rencontre. II se prénommait ainsi quand je l’ai rencontré, révélé-je. TU ME LES GONFLES! 35 - Et cela vous a excité, pas vrai, cher grand fou; c’est qu’on raffole des hasards, chez nous autres vivants. On guette si intensément le moindre signe! La Butterfly scrutant la mer pour y déceler une fumée! Salope! MI~~e Gretta va s’occuper de toi, mon petit Antoine. Essaie de l’amadouer car elle commence àrechigner de me voir m’incruster chez elle! Ton sourire de gavroche nous vaudra peut-être un sursis. Ne lui casse rien, surtout! Ici c’est plein d’objets fragiles et hideux auxquels elle tient davantage qu’à son vieux cul fripé. Si elle veut toucher ta zézette, ne te laisse pas faire. A moins que tu n’y trouves un certain agrément. Sensoriellement, je l’ai déclenchée, l’infâme rombière. Lady Carabosse n’avait pas tellement de demandes avant notre rencontre, surtout à son âge! Ça ne se bousculait pas entre ses cuisses. Depuis que je la fourre avec mon marteau-pilon, elle se croit irrésistible, partant du principe que si on peut s’embourber la queue du siècle, toutes les autres sont à votre disposition. Fétix me précède jusqu’au salon promis. Une pièce moyenne, fanée, avec des meubles Louis XVI autrichien (si je puis dire) recouverts de tissu Louis XVI français; des murs tendus de soie à rayures et décorés de tableautins libertins. La plupart représentent des angelots, des amours joufflus aux sourires extasiés, comme si on leur filait un doigt dans le fion. C’est vrai qu’un feu de bûches illumine le plafond mouluré. Je me laisse quimper dans un fauteuil, Félix s’octroie le canapé de manière à ce que nous soyons disposés en équerre devant l’âtre. Son pyjama trop vaste laisse deviner sa monumentale chopine. Même àl’abandon, elle conserve un volume important. A croire qu’il cache une lance d’incendie dans le pantalon de pilou, le Prof. - Quelle aventure, Antoine! soupire-t-il. Mais quelle stupéfiante aventure, mon pauvre ami! - Je compte sur vous pour me la narrer avec cette élégance du verbe qui ajoute à votre charme, Félix. 36 BAISSE LA PRESSION, fl y a un hochement de tête désabusé. Ma flatterie n’a pas prise sur son désenchantement. - Pour commencer, je vais vous résumer ce que fut ma vie depuis notre dernière rencontre, Antoine. Imaginez-vous que j’ai fait du cabaret. Oh! pas en qualité de chansonnier, rassurez-vous. Avez-vous entendu parler d’une boîte hard, de Saint-Germain, àl’enseigne de La Chatte en Feu? Non? Elle est pourtant réputée. C’est dans cet établissement que je me produisais. Des années durant j’y ai interprété le même sketch, car il faisait un malheur! J’étais assis, comme un client, à une table près de la piste. Le spectacle commençait par des danses érotiques et se poursuivait par des démonstrations d’actes sexuels. Toujours le même canevas, mon pauvre ami: un monsieur et une dame. ils se rencontrent. Jouent les timides. Puis s’enhardissent et finissent par copuler crapuleusement. Les seules variantes sont dans les costumes et le décor. Vous avez la troussée en chemin de fer, le petit salon 1900 type Maxim’s, le coït à bord d’une barque de plaisance, la fermière culbutée dans la paille par un uhlan de la mort (guerre 14-18), le précepteur violant sa jeune élève (inspiré de La Leçon, de Ionesco), la sentinelle enfilant tout debout une cantinière dans sa guérite, et bien d’autres saynètes de ce calibre. « Le clou du spectacle représentait le cabinet d’un psychiatre. Le médecin psychanalysait une luronne languide, laquelle se mourait de consomption, parce qu’en amour elle ne parvenait pas à trouver chaussure àson pied. Vous le devinez, le docteur essayait de la revigorer par ses propres moyens physiques dont je dois admettre qu’ils étaient estimables. Mais la donzelle restait sur sa faim. Le psy mandait alors son concierge, quelque peu plus membré que lui. Toujours sans que la cliente en conçût la moindre satisfaction. « C’est alors que je me manifestais. L’on avait accru mon aspect rétro par une mise surannée. Je portais lorgnon, guêtres de daim, pantalon rayé, veste noire, lavallière de soie grise. Je demandais, depuis ma table, TU ME LES GONFLES! 37 si l’on voulait bien m’essayer. Hilarité dans la salle. Le « docteur » m’invitait à rejoindre sa patiente. Je commençais alors un strip-tease qui faisait se plier en deux l’assistance, jusqu’au moment où je finissais par déballer ce qui serait l’objet de ma vanité, si j’étais vaniteux. Alors un silence merveilleux muselait le public. La dame blasée se jetait sur mon membre, achevait par des caresses enthousiastes de le mettre au beau faxe et, là, Antoine, je la prenais sur le divan médical. J’avais pour partenaire une personne hautement comestible dont la peau parlait à la mienne et dont le parfum de femelle me chavirait. Elle appréciait loyalement notre étreinte et je crois sincèrement que c’est sur la piste de La Charte en Feu que j’ai accompli mes meilleurs prestations amoureuses. « La présence de ces gogos en rut ne me troublait pas. Peut-être même attisait-elle quelques fantasmes secrets en moi? La salle retenait son souffle mais exhalait mille plaintes. Quand je me retirais c’était l’ovation spontanée! Des houris frénétiques abandonnaient leurs compagnons de soirées pour venir toucher ma biroute fourbue. J’ai compris ce que pouvait être la gloire d’un artiste de music-hall. Certains soirs de liesse déferlante, je me prenais presque pour Aznavour et j’avais envie de régaler l’assistance d’une branlette supplémentaire, comme le grand Charles accorde une dernière chanson a capella (ou a cappella) à ses fans en délire. » Il rêvasse un instant et je note un certains remue-ménage dans le pyjama, provoqué par l’évocation. Les flammes illuminent son visage de vieux jeton branlant. Un paf surcalibré comme le sien constitue chez lui une double anomalie. - Eh oui, Antoine, soupire-t-il, eh oui, ça été une sacrée période de ma vie. J’étais assailli d’invitations! Le nombre de personnes qui ont voulu m’avoir chez elles, mon cher! Très vite, je me suis fait payer. J’étais un virtuose, après tout! Invite-t-on Menuhin à venir jouer du violon chez soi contre une tranche de foie gras 38 et un magret de canard aux pêches? Je peux vous révéler une chose plaisante, Antoine : j’ai fait fortune. Pas une fortune qui porte ombrage à Bouygues ou àLagardère, mais une fortune à ma mesure qui, convenablement investie, assurera mes vieux jours si toutefois les méchants qui me cherchent m’en laissent! - Eh bien! bravo, Félix! Tous mes compliments. Il sourit, lointain. - Un jour, j’ai dû cesser mes représentations par la faute de ma partenaire. Elle s’est mariée à un notable de province et personne n’a pu la remplacer de manière à me garder opérationnel. Beaucoup de gens « ont leurs têtes », Antoine. Moi, j’ai « mes culs ». Il me faut une motivation secrète, une impulsion subconsciente. Ainsi, de l’affreuse boscotte qui m’héberge. J’ai besoin du petit rien qui fait de moi un surbandant, sinon je ne suis qu’un triste sexagénaire aux prises avec sa sénescence. Vous me comprenez, Antoine? Sans la touche mystérieuse de la nature, votre vieux Félix n’est plus qu’un pauvre con à la queue. basse. Vous me comprenez? - Je pense que oui, lui dis-je. Sincèrement. DESSINE-MOI UNE TÊTE D’HAINEUX Il surmonte son coup de flou, Félix. Je trouve que son strabisme converge de plus en plus. Ça lui fait pendouiller le regard sur le cercle inférieur de ses lunettes. Il n’est pas rasé et son poil grisâtre le transforme en malade, le pyjama aidant. Curieux que la nature se soit montrée si bienveillante avec sa braguette. Il repousse de sa mule un menu brandon jailli de la cheminée. Puis poursuit: - Peu de temps après ma mise à la retraite, alors que j’avais fait des adieux émus à mes partenaires de La Chatte en Feu, j’ai reçu une lettre des Etats-Unis. Elle émanait d’un certain professeur Broutmich, d’Augusta, dans le Maine. Cet homme honorable dirige le service gériatrique de l’hôpital Namofgod, l’un des plus réputés de la côte Est. Dans sa lecture, il m’expliquait qu’une de ses collaboratrices, NelIy Nicethigh, avait assisté àma prestation lors d’un voyage à Paris et avait parlé au professeur de la surdimension de mon pénis. La description qu’elle en avait donnée troublait le praticien. Il me précisait que si mon élément reproducteur dépassait les 40 centimètres, il était prêt à m’inviter à Augusta pour une série d’observations dans son service; tous frais de déplacement et de séjour payés, avec, en plus, une prime de vingt mille dollars. Pour un homme devenu libre et empêtré dans sa liberté, l’offre était 4U BAiSSE LA PRESSION, intéressante. Je pris un mètre de couturière, vérifiai ta longueur de mon sexe (48 centimètres) et répondis par l’affirmative à la proposition du professeur Broutmich, auquel j’adressai une photo de moi, nu et en pied, afin qu’il pût constater la réalité de ma bienheureuse anomalie. Quinze jours plus tard, je débarquais àAugusta. « Prendriez-vous un petit quelque chose, Antoine? Je vous préviens que mon récit sera long. La vieille bosco a une liqueur d’abricot des plus agréable qui s’absorbe sans qu’on y pense, comme un feuilleton américain. » Sans attendre ma réponse, il va chercher dans un petit meuble en marqueterie un flacon habillé d’une étiquette pimpante, plus deux verres de cristal de petite contenance et qu’il emplit d’une main qui commence àtrembler légèrement. - Au début de mon séjour américain, j’ai eu beaucoup de plaisir. Helmunt Broutmich, d’origine germanique, est un homme agréable, plein d’attentions. Son assistante qui est aussi sa maîtresse, à qui je devais d’être connu de lui, mourait d’envie d’essayer mon membre. Depuis sa soirée à La Chatte en Feu, elle fantasmait sur mon phallus et vint me violer dans ma chambre dès la première nuit. C’est une jolie fille, un peu maigre mais pas si étroite que sa morphologie ne me le laissait craindre. Je lui donnai satisfaction, ce qui était la moindre des choses. Sa maigreur m’inspira et ce fut une opération réussie pour les deux. Côté clinique, ce ne fut pas assujettissant. J’eus droit à une séance de photos et de mensurations précises. On fit également des radios. Broutmich me produisit dans un amphithéâtre à des confrères à lui, puis à ses étudiants. J’eus la grande satisfaction de provoquer un désir incoercible chez une jeune fille qui se croyait frigide et fuyait tous rapports sexuels, de quelque nature qu’ils fussent. J’accordai à l’adolescente quelques séances particulières, mais ne pus, hélas, concrétiser ses voeux, nonobstant les oléagineux auxquels nous TU ME LES GONFLES! 41 eûmes recours pour tenter une percée. Elle dût se contenter de chevaucher l’objet, ce qui la conduisit tout de même à une pâmoison de bon aloi et lui ouvrit du moins des perspectives d’avenir. Vous le voyez, cher Antoine, mon expérience américaine ne manquait pas d’agrément. « C’est alors qu’il se produisit dans la région, un événement grave : une flambée de variole qui prit le corps médical au dépourvu. Cette maladie, Dieu merci, a disparu depuis pas mal d’années déjà de la planète. L’acharnement thérapeutique de la Santé mondiale en a eu totalement raison. Et voilà qu’on assistait à une réapparition du fléau! Et où cela? Pas dans des souks, des cases, ni des taudis, Antoine, mais dans de coquets cottages américains. L’ami Broutmich en perdait son latin! L’un de ses anciens élèves, le docteur Smith, établi dans la coquette cité de Garden Valley, était au désespoir. C’est lui qui avait été en présence du tout premier cas. Il n’avait pas su diagnostiquer le mal et son patient était mort. « Comment et pourquoi je me pris d’amitié pour ce jeune praticien? Il se trouvait dans une affliction voisine de la déprime. Assistance à personne en danger, Antoine! Un élan de charité chrétienne m’a échappé. Ces notions-là vous collent à la peau de l’âme. Vous avez beau vous affranchir de toute une panoplie de croyances, il vous en reste des instincts de croisés. Le voyant au creux de la vague, je devins son vieil ami de France: l’hurluberlu à la grosse bite! Je lui fis voir qu’il y avait une tâche à accomplir : essayer de déterminer d’où provenait la résurgence de ce virus. Elle avait bien une cause? Une source? Certes, les commissions médicales ne manquaient pas de s’activer, de supputer, d’enquêter, cela en pure perte. Histoire de lui changer les idées, je lui suggérai de prendre quelques jours de vacances et d’enquêter avec moi. Dans les cas de neurasthénie, l’action est miraculeuse. L’homme qui agit ne pense pas. Je le convainquis sans trop de mal et BAISSE LA PRESSION, nous nous mîmes au travail. J’avais vingt mille dollars àdépenser. On pouvait voir venir... » Il en est à ce point pilpatant de son récit lorsque la porte s’ouvre sur sa Carabosse. La vieille bossue glapit comme quoi Toinet vient de lui claper tout le contenu de sa boîte de biscuits pendant qu’elle soignait la plante en pot décorant son balcon un fabiusbaladurus àfloraison bissextile. Je rassure la dame en promettant d’aller lui acheter six boîtes de ces sublimes friandises pour compenser la voracité de mon adopté. Félix reconstitue le fort volume de son appendice à travers l’étoffe du pyjama, ce qui équivaut à un chèque en blanc. Calmée, Gretta Mueiner s’emporte vers d’autres lieux. - La vieille chaufferette me tape sur les nerfs! m’avertit Félix. Je compte sur vous, Antoine, pour me sortir de son piège à rats. - Soyez rassuré, ami, je suis là! Il me sourit tendrement. - Quel garçon exquis vous faites, Antoine! Courageux, drôle, disponible! Ah! posséder un fils et qu’il soit à votre image, quel bonheur ce serait! Mais l’ironie du sort veut qu’avec un braquemart de 48 centimètres, je n’aie jamais été fichu de procréer! Cela dit, ça vaut mieux puisque c’est à moi que l’enfant aurait ressemblé, et non à vous! Il rit. - J’emporterai mon paf dans ma tombe : quel régal pour les asticots lorsqu’ils s’attaqueront à la queue du père Félix! Elle qui aura fourni tant et tant de festins! Il re-rit. Verse une seconde « tournée » d’abncotine. - Cela vous ennuierait de poursuivre votre histoire, Félix? - Au contraire, mon bon. Comme je vous le disais, nous entreprîmes, le jeune docteur Smith et moi-même, quelque chose qu’il faut bien appeler « une enquête », ne vous en déplaise. Sur mes instances, nous la prîmes par le début, c’est-à-dire par le malade TU ME LES GONFLES! 43 number one, celui qui allait périr le premier, un vieux type du nom de Ferguson. Il laissait une aimable veuve, femme de jugeote, ancienne infirmière, donc de quelque compétence. D’ailleurs, selon Smith, elle avait, la première, reconnu les symptômes de la variole dans la maladie de son époux. « D’autres, avant nous, étaient venus la questionner : « avaient-ils eu des contacts avec un étranger? Son mari avait-il fait un voyage, quelque temps auparavant, dans un pays sous-développé? » Les réponses étaient « non ». Les Ferguson ne recevaient personne et se déplaçaient peu. Ils n’avaient jamais quitté le territoire américain. Leurs seuls voyages consistaient àrendre visite une ou deux fois l’an à leurs fils, établi àAtlanta. Comme ce dernier gérait un motel, il lui était malaisé de se déplacer lui-même, car personne ne le secondait efficacement. « Je m’enquis auprès de Broutmich pour savoir si l’on avait enregistré des cas de variole dans la capitale de la Georgie. Là encore, la réponse était « non ». Les commissions d’enquête qui nous avaient précédés, s’étaient arrêtées à cette constatation. Nous faillîmes faire de même. Pourtant, dans la nuit qui suivit, j’eus une insomnie d’où jaillit LA grande décision qui allait marquer le tournant de l’affaire: nous devions nous rendre à Atianta et continuer l’enquête chez le fils Ferguson. » - Bravo, Félix! ne puis-je me retenir d’exclamer. Voilà qui est d’un véritable flic! Il ôte ses lunettes. Ses yeux abandonnés s’entrechoquent soudain. Posément, il fourbit ses verres avec le pan de sa veste pyjameuse, se refait un regard et le braque sur moi. - En France, dit-il, nous n’avons pas d’idées, mais nous avons du bon sens. - Donc, Félix, votre petit toubib ricain et vousmême, vous rendîtes chez le fils du premier variolé? - Exactement. C’est un obèse blafard. L’Amérique en produit des quantités, à coups de pop-corn, de club- 44 BAISSE LA PRESSIUN, sandwiches et de boissons gazeuses. Des êtres énormes de partout auxquels il faut deux sièges pour s’asseoir et qui, en règle générale, croient prendre l’air dégagé en s’affublant de tee-shirts à la gloire de Superman ou de Mickey Mouse. Ferguson fils appartient à cette catégorie. Il a toujours un sachet de friandises ou un gobelet géant à la main. Il ne parle qu’en mastiquant et il bouffe même aux chiottes. C’est une sorte de monstre. D’hippopotame vautré dans son marigot. Il passe sa vie dans un énorme fauteuil colonial, derrière son comptoir, àlire des comics en mangeant. Il campe bien, Félix. On s’y croirait. On devine le lettré, à l’écouter. Décortiqueur de textes. Prêteur d’intentions. - Et alors? pressé-je. Mon terlocuteur me coule un regard de reproche. Je n’apprécie donc pas son récit que je veuille en hâter le déroulement? Je l’apaise d’un sourire et je murmure: - C’est passionnant! Rassuré, il gratte ses roustons quelque peu appauvris par l’excès de zèle qui leur fut demandé un demi-siècle durant. - Nous entreprîmes le siège de cette forteresse de graisse, poursuit le professeur. Ferguson a le souffle court et la bouche pleine, donc il parle peu. Nous mîmes des jours à lui arracher par bribes des faits dont vous allez mesurer l’importance. Je vous passe les affres de ce long accouchement. Nous lui tirions les vers du nez par minuscules tronçons, anneau après anneau. Nous développions ensuite cette maigre pâture en questionnant le personnel et les voisins du motel, entre autres un marchand de voitures d’occasion d’origine mexicaine. Enfin, nous parvînmes à établir le rapport suivant « Lors du dernier séjour des parents Ferguson, c’est-à-dire quelques semaines avant le décès du vieux, il se produisit un fait divers au motel. Que je vous précise auparavant l’originalité de l’établissement. Il représente un campement indien. Chaque bungalow a la TU ME LES GONFLES! 45 forme d’une hutte, bien qu’il soit en ciment et pourvu du meilleur confort. Il y a une douzaine de ces constructions autour d’une tente centrale, beaucoup plus vaste que les autres, servant d’office et de restaurant. L’ensemble fait un peu Disneyland, mais il est amusant et attire le touriste de passage qui ne manque pas de le photographier sous tous les angles. Papy et mamy Ferguson occupaient le bungalow le plus proche de la construction mère. La tente voisine de la leur était occupée par deux jeunes femmes blondes. Elles s’étaient inscrites sous des noms américains, mais Ferguson fils prétendait qu’entre elles, elles parlaient polonais. Il avait fait un séjour dans l’armée, au cours duquel il s’était trouvé en compagnie de deux Polaks naturalisés qui employaient leur langue originelle pour communiquer entre eux et avait gardé ce dialecte en mémoire. « Le second jour de leur arrivée, des agents de la C.I.A. se présentèrent au motel et montrèrent au taulier la photo d’une des filles. Ferguson reconnut qu’elle était momentanément sa cliente. Les deux agents se rendirent alors à la tente-bungalow des deux filles. La porte en était fermée à clé. Ils frappèrent et leur ordonnèrent d’ouvrir, ce qu’elles firent après quelques tergiversations. Les gars de la C.I.A. leur passèrent alors les menottes. Ils rassemblèrent les effets des deux clientes et embarquèrent le tout. A signaler que le père et la mère du motelier se trouvaient àl’office pendant cette arrestation, à laquelle ils n’assistèrent donc point. C’est toujours clair, Antoine? » - Tellement limpide que ça me donne soif, cher Félix! - Après avoir passé la journée en compagnie de leur poussah de fils, reprit le professeur Nimbus de la verge, les Ferguson rentrèrent se coucher. La mamy se mit à procéder à ses préparatifs nocturnes dans la salle de bains. En l’attendant, le vieux brancha la télé. C’est alors qu’il remarqua, à côté du poste, un objet étrange qui ne s’y trouvait pas le matin. II s’agissait d’un cube 40 BAISSE LA PRESSiON, d’acier d’environ sept centimètres de côté. L’une des faces coulissait. Elle était fermée par un cachet de cire comportant un signe qu’il ne sut interpréter. Le bonhomme fit sauter le cachet et coulisser le couvercle. Le cube s’avéra être une sorte de boîte contenant neuf petites ampoules dans des compartiments de bois. L’une d’elle était brisée. Ferguson père flaira la chose qui ne dégageait aucune odeur spéciale. Il se demandait comment ce minuscule container d’acier avait échoué au pied du poste de télé. Regardant alentour, il constata que sa fenêtre était ouverte, à cause de la chaleur (le climatiseur ne fonctionnait pas) et qu’en face de ladite, à deux ou trois mètres, la fenêtre du bungalow voisin l’était aussi. En homme de jugeote, il pensa que quelqu’un avait dû lancer la boîte d’une tente à l’autre. Alors il s’en saisit et sortit. Ce fut pour constater que des policiers exploraient le bungalow des deux filles. Ils fouillaient les lieux avec minutie. Le vieux leur montra sa trouvaille et leur demanda si, par hasard, ce n’était pas « ce machin-là » qu’ils cherchaient. Les flics s’écrièrent qu’effectivement; Ferguson expliqua où il avait déniché la boîte. Ils le remercièrent chaleureusement, placèrent la boîte d’acier dans un sac en plastique et se retirèrent. - Formidable, Prof! exulté-je. Cette boîte contenait le virus de la variole et le vieux fut contaminé par l’ampoule qui s’était brisée sous l’effet du choc quand l’une des gonzesses l’a balancée d’un bungalow dans l’autre à l’arrivée des perdreaux! - Tout nous permet de Le penser, n’est-ce pas? - C’est l’évidence. Là-dessus, la Carabosse revient en trombe dans le salon. Elle est en surexcitance indignée. Faut l’entendre clamer en autrichien moderne! De ses criailleries, il appert (de couilles et du verbe apparoir) que ce satané Toinet vient de lui faire une propose honteuse, àMrnC Frau. Il 1w demande ni plus ni moins qu’elle 1w montre sa bosse; en contrepartie, lui s’engage à lui laisser toucher sa guiguite. TU ME LES GONFLES! 47 - Mon Dieu, ma chère, je conçois mal votre indignation, la calme Félix, le marché est équitable et je dirais même que je le trouve plutôt avantageux pour vous. Votre gibbosité est un amas excédentaire qui, sans vouloir vous vexer, n’intéresse que quelques esprits curieux, tandis que les génitoires de ce petit garçon sont des bijoux que vous n’aurez probablement plus jamais l’occasion de tripoter. Voilà une offre inespérée, ma bonne, que seul un petit Français de France pouvait vous faire. Quelle autre nation, en effet, produit des enfants aussi délurés? Elle renaude encore, la chouette déplumée. Balance des mein Gou, mein Gou pour catastrophe nationale. Les Popoifs radineraient sur Wien avec leurs chars, elle serait moins perturbée! On la darde en silence jusqu’à ce qu’elle s’évacue. J’ai idée que le gars Toinet va la rendre jobastre avant la fin de notre visite. Tu parles d’une emplette qu’elle a faite en draguant Félix, la vieille peau! Sa quiétude bourgeoise morfle sérieusement. Lorsque enfin elle nous lâche les baskets, on est obligés de se reconnecter le circuit pour revenir àl’affaire Félix. - Que vous disais-je, Antoine? - Vous acheviez de me relater l’histoire du container à variole... Une fois acquise cette info primordiale, qu’avez-vous fait? - Une connerie, répond sans hésiter Félix. Et majeure! - Mais quoi encore, Félix? - Nous sommes allés à la police pour rapporter aux autorités ce que nous venions de découvrir. - La police d’Atlanta? - Oui. - Vous avez raconté aux flics des événements qu’ils connaissaient déjà, noté-je. - Certes, mais ils n’en connaissaient pas les prolongements. Ainsi ignoraient-ils l’épidémie de variole qui en a résulté dans le Maine. Cela dit, ça n’a pas eu l’air 48 BAISSE LA PRESSION, de les émouvoir beaucoup. Notre déclaration a été enregistrée par un gros flic porcin qui fumait un cigare de vingt centimètres. H a pris nos coordonnées, nous a fait signer le papier et n’a même pas répondu à notre salut lorsque nous l’avons quitté. Félix prend l’air gêné du monsieur que son épouse embrasse en présence de sa maîtresse. - Qu’est-ce qui vous chicane, Félix? - Je viens de penser que le docteur Smith ne voulait pas que nous nous rendions chez les flics d’Atlanta; il tenait à conserver notre découverte pour ceux d’Augusta puisque c’était dans la région d’Augusta qu’avait sévi l’épidémie; c’est moi qui ai insisté, triple idiot que je suis! Si je l’avais écouté, il vivrait probablement encore. Je sursaute - H est mort? - J’allais y venir, Antoine. Une fois notre rapport fait aux autorités de Georgie, j’ai proposé à mon compagnon de visiter la région. J’aime les belles demeures de style colonial comme on en voit dans les films au sucre glace des grands confiseurs d’Hollywood, style Autant en emporte le vent. Il a accepté. Nous avons alors loué une voiture pour sillonner la contrée. Smith était un bon compagnon, très porté sur le sexe. Il nous est même arrivé une double bonne fortune dans un restauroute servant de halte aux bus Greyhound. Deux voyageuses, la mère et la fille... Je me trouvais aux toilettes. Je n’avais pas pris garde au fait qu’il en existait pour les whi:e men et pour les coloured men. Bien entendu, distrait comme vous me savez, j’étais entré dans les secondes. Un grand vieux nègre à barbe survint, qui s’indigna de ma présence. Dans le Sud, ces gens ont pris l’habitude de pisser entre eux et je n’eus que le temps de m’évacuer, la bite à la main. C’est alors que je croisai la dame évoquée plus haut: la maman. Jeune maman. Elle rôdait autour de la quarantaine et ne pouvait laisser passer un sexe de la dimension du mien. La manière dont elle le regarda me laissa TU ME LES GONFLES! entendre que, déjà, elle le convoitait. Je le lui proposai pour après ma miction, car j’en avais besoin pour la satisfaire. Elle accepta. Je prévins le docteur Smith de ce qui s’ourdissait et il consentit à « s’occuper » de la fille. Nous conduisîmes ces deux dames dans la campagne environnante et pûmes les fourrer convenablement, nonobstant l’inconfort. Ce genre d’exploit bucolique ne pénalise que nos charmantes partenaires car nous sommes mieux adaptés qu’elles, nous autres mâles, à de furtives étreintes. Lorsque nous eûmes batifolé à loisir, nous nous aperçûmes que leur bus était reparti sans les attendre et nous dûmes le courser en voiture pour le rattraper. Je vous signale la chose pour vous dire que c’est la fille qui, au cours de cette poursuite, nous avertit que nous étions suivis. Effectivement, une Lincoln noire nous collait au train. Nous rejoignîmes le Greyhound àl’entrée d’une agglomération et les deux polissonnes purent y prendre place. Ensuite de quoi, nous nous occupâmes de la Lincoin, laquelle attendait cent mètres derrière nous. « Cette fichue voiture noire nous rendit perplexes. Nous vérifiâmes qu’elle en avait bien après nous, en empruntant des routes secondaires. Puis en accélérant. Smith possédait un bon coup de volant. Bientôt, nous abordâmes une région montagneuse, déserte et escarpée. Nos poursuivants étaient implacablement à nos trousses. Nous nous perdions en conjectures. Qu’est-ce que ces gens pouvaient bien nous vouloir? Les vitres teintées de leur véhicule ne nous permettaient pas de les apercevoir et aoutaient à notre angoisse. Smith perdait la tête. Il roulait à une telle allure au bord du précipice que je le suppliai de lever le pied. Mais il ne m’obéissait pas et ce qui devait advenir advint: ce pauvre docteur rata un virage et nous partîmes dans le vide. Mon cher Antoine, il ne se passe plus de nuit que je ne rêve à ce plongeon. L’horreur! L’attente! Cela n’en finit pas. Tout votre être est glacé, vos pensées oatinent. Vous êtes l’épouvante en personne. Vous ne 50 BAISSE LA PRESSION, voyez plus rien, ne sentez plus rien. La notion de mort elle-même vous abandonne. C’est la trouille chimique! La pétoche à l’état pur! « Et puis, l’impact! Par une chance prodigieuse (pour moi) nous atterrîmes sur les quatre roues. Ce fut un choc phénoménal, je crus que mes vieux os se brisaient tous en même temps et je restai anéanti mais conscient, sur mon siège. Bientôt, je fus environné de flammes. Par un prodige de volonté, je parvins à ouvrir ma portière et à me couler à l’extérieur. Avais-je détaché ma ceinture ou omis de la boucler? Mystère. Je me laissai rouler sur moi-même à plusieurs reprises en une succession de tonneaux. Des arbousiers, des plantes épineuses stoppèrent ma descente. Je perdis conscienœ. Lorsque je revins à moi, la nuit était tombée. A ma grande surprise, je pus me remettre à la verticale sans grandes difficultés. La carcasse de notre voiture fumait encore. Je m’en approchai et constatai que le gentil petit toubib avait à présent la taille d’un garçonnet. Il était calciné à son volant. « Il me fallut plus de deux heures pour remonter jusqu’à la route car je clopinais misérablement et la pente recouverte d’éboulis était raide. Une fois sorti du précipice, la chance recommença à me sourire: une camionnette survint, pilotée par un fermier de la région. Il s’arrêta. Je lui expliquai que je venais d’avoir un accident et il me conduisit à la localité la plus proche, me laissant devant le bureau du shérif. Au moment où j’allais m’y présenter, je ne sais quel signal d’alarme retentit sous mon crâne déplumé, Antoine. Mon subconscient me déconseillait de me manifester auprès des autorités. Une notion aiguè de danger m’envahissait. Je fis l’inventaire de mes poches. J’avais sur moi mes papiers, passeport compris, mon argent. Je n’eus dès lors plus qu’une idée: rentrer en Europe. Je frétais un taxi qui me ramena à Atianta. De là, je pris un avion pour Washington. Plus le temps passait, plus ma frousse grandissait. J’avais réalisé que je m’étais aventuré dans des régions interdites. Ce que nous TU ME LES GONFLES! 51 avions découvert, Smith et moi, nous condamnait. Il fallait que je quitte les U.S.A. de toute urgence pour rallier ma brave vieille France rassurante. Le premier vol qui partait pour l’Europe allait à Vienne. Depuis là-bas, la capitale autrichienne me semblait être une banlieue de Paris. Je le pris. Lorsque l’appareil quitta le sol et rentra son train d’atterrissage, je fus soulagé et je dormis pendant une bonne partie du vol. » Son récit l’épuise, Félix. Sa voix se fêle et son souffle devient court. - Marquons une pause, bon ami, conseillé-je. Cette évocation vous fatigue. - L’asthme, murmure-t-il. J’ai déjà eu des symptômes en baisant, Antoine. Je tiens mal la distance, désormais. Jusqu’à récemment, je n’avais jamais remarqué que l’amour est un exercice physique. Qu’il nous malmène. La quête de la jouissance nous fait passer outre, mais ensuite, nous demeurons longtemps sur le flanc! Et encore je ne suis pas gros! Mais qu’en est-il des sexagénaires ventripotents? S’il vous reste de la foi, priez pour eux, mon garçon. Et pour vous également qui serez vieux un jour. On apprend tout aux hommes lorsqu’ils sont jeunes, sauf qu’ils deviendront âgés et podagres. Cette éducation-là, il faut se l’inventer tout seul; personne ne vous l’enseigne. On donne des cours d’éducation sexuelle, pas des cours de vieillissement. Epuisé, il se tait. Dame Mueiner prend le relais. Elle entre, tenant Toinet par le cou. Elle est radieuse. Me demande la permission d’aller « en course » avec lui. Ce que j’accorde volontiers. - Bravo, souligne Félix, tu as fait sa conquête, petit! Le garnement nous adresse une oeillade canaille. - Depuis qu’elle m’a fait un gros bisou sur le paf, elle est toute chavirée, nous dit-il. A propos, grand, j’ai vu sa bosse: pas terrible. C’est comme un dos, quoi, sauf qu’il est arqué. Ils partent, bras dessus, bras dessous. 52 Quelque part dans l’appartement, une pendulette égrène des coups cristallins que je ne compte pas. Il paraît avoir cent ans, Félix! La peur qu’il continue d’éprouver le mine, le ratatine, lui fait une minuscule tête de noeud. Il devient colichocéphale. Pour l’assister, je lui pose la main sur l’épaule. - Allons, du nerf, mon bon ami! - Je vais y laisser ma peau, chuchote±iI. Moi que la vie importunait, voilà que ça me fait chier de la quitter! J’ai honte. Quand je pense trop fort à ma situation, je défèque, Antoine. Ce que c’est laxatif, la trouille! L)LssIINt-MU1 LAVtINIK Il a mis du temps à retrouver son souffle. Je le regardais, en pigeant qu’il se trouvait dans la ligne droite qui mène au trépas. Qu’il avait aœompli sa trajectoire et que, telle une braise propulsée hors de sa cheminée natale, il était en train de s’éteindre en retombant. Il avait beau s’insurger, regimber, déjà l’ombre de la résignation le gagnait, Félix. Ça me faisait pitié de penser à sa grosse bite pourrissante. Il s’était fourvoyé dans un étrange pot de merde. Il a bu un troisième godet d’abricotine. Une odeur pas jouissive montait de lui. Peut-être venait-il de bédoler dans le pyjama trop grand? Pas beaucoup, juste un chouia entre ses fesses maigrichonnes. - Peut-être souhaitez-vous faire votre toilette? lui ai-je indirectement suggéré, mais il a branlé le chef. - Que non pas, Antoine. J’aime stagner dans ma crasse. Je pue? Si oui, pardon. C’est notre lot à tous. Mais d’une façon générale, les hommes se lavent trop, mon cher. On leur prêche l’hygiène, alors, naturellement, ils exagèrent. Dommage, car la crasse conserve. Elle est une gaine protectrice dont la vie courante nous tartine obligeamment. Mais nous, sombres cons livrés aux autans, nous nous empressons de nous en défaire, comme pour mieux nous mettre à nu, mieux nous exposer. Tout ce qui peut nous fragiliser, vous pensez qu’on ne va pas rater ça! BAISSE LA PRESSION, Il relève le bas de son pantalon, agite deux pieds plats, gris et variqueux. - Admirez comme ils sont bellement crasseux, Antoine! Entre les orteils surtout! Et mon talon d’Achille? Vous avez regardé mon talon d’Achille, Antoine? Il est pratiquement croûteux comme un cul de vache savoyarde. II sourit. - J’en avais marre de dégénérer, mon garçon, alors peu à peu je me laisse glisser à l’état sauvage. Je reviens aux sources. Je rentre dans la tanière ancestrale. Je voudrais retourner au fond des âges, avant le fer, la roue, le feu. Ne plus marcher mais danser sur mon derrière! Ne plus parler mais émettre des cris! il balaie son rêve impossible comme les miasmes d’un renvoi d’ail, d’une main qui sait agiter l’air à bon escient. - Il faut que je vous termine mon équipée, petit. J’en étais à l’aéroport de Washington. L’avion décolle. Je jubile. Je me crois sauf. Fort! Comme un qui a la possibilité d’offrir ses organes à la science, ce qui n’est plus mon cas. Là est la preuve imbécile du vieillissement, mon garçon, lorsque votre bidoche est devenue irrécupérable. Que vous ne pouvez plus léguer vos reins mités, votre coeur en arythmie, vos poumons percés, votre moelle liquéfiée, vos yeux frappés de cataracte et, moins que tout, votre foie cirrhosé. Vous n’êtes plus qu’un assemblage d’avaries fonctionnant sur la vitesse acquise. Un ensemble de maladies composant un homme réputé bien portant. Que vous disais-je? Washington, l’avion pour Vienne, et moi béat comme le mulot que surveille la buse planante! « Je débarque ici. Le confort, la douilletterie teutonne. Pas complètement teutonne, mais presque. Je respire un air de liberté. Que je crois! De délivrance infinie. Que j’imagine! Sot! Triple sot périlleux! Je cherche un vol pour Paris. Pas avant demain; celui de la journée est parti. Qu’à cela ne tienne! A moi le Prater, le Danube, la Grande Roue! Je descends dans TU ME LES GONFLES! 55 un hôtel, voyageur sans bagages. J’explique que les miens ont été égarés à Washington. Une chambre quiète, avec une couette onctueuse sur le lit. Je me couche. Je dors magistralement, l’âme en fête. Tout juste s’il subsiste quelque part dans mon esprit un bout de pitié pour le pauvre docteur Smith. La vie! Vous avez beau réchauffer vos nobles instincts au bain-marie, ça reste chacun pour soi et Dieu pour moi! Ce que j’éprouve dans ce demi-sommeil ressortit de la volupté authentique. « En fin de journée, je m’offre une douche, au diable mes principes! Remets mon linge fané et pars à la recherche d’un restaurant viennois. « Je musarde le long des rues. Il fait frisquet, mais ça réveille. Soudain, une auto stoppe à ma hauteur. A l’intérieur, deux créatures de rêve. Des filles superbes et de grande allure. Manteaux d’astrakan, toques de renard noir. Un côté exquisement rétro. Celle qui est àla place passager me murmure « - Vous venez faire une promenade avec nous? » « Moi, Antoine, vous me connaissez? Avec ce que je traîne entre mes vieilles jambes, il m’est impossible de décliner. Je monte. Une troisième fille que je n’avais pas remarquée, se tient à l’arrière du véhicule. Une petite brune vêtue de cuir noir, elle. Pantalon, blouson. L’air d’un adolescent. Et que fait-elle? Ah! mon coeur manque me sortir du corps par la bouche elle tient un revolver nickelé braqué sur moi. Sa main armée repose sur l’accoudoir central et le vilain groin chromé ne bronche pas. Que me passe-t-il par la tête alors? Impossible de vous le dire. Quelque chose de similaire en tout cas à ce que j’ai éprouvé pendant mon plongeon de la veille dans le ravin. Je m’entends dire « - Bonjour, mes jolies demoiselles. » « Et puis je rouvre la portière et me jette hors de l’auto alors qu’elle démarre, prenant tout le monde de court! Un vieux génaire égrotant! Je m’attends àrecevoir des balles dans le dos, cependant, je fonce sans me retourner jusqu’à une brasserie toute proche. 56 BAISSE LA PRESSION, Heureusement, la circulation est dense. Je pénètre dans l’établissement et vais prendre place à une table. Une accorte serveuse s’approche sans me laisser le temps de respirer. Je commande une bière. Je me sens maître de moi. Et pourtant je suis fou de terreur. Mais que me veut-on, grand Dieu! Ma peau? Elle ne vaut pas tripette. Je bois ma bière. Par les vitres de la brasserie, je repère la fille en cuir noir sur le trottoir. Elle parle avec l’une de ses compagnes : celle qui m’a dragué. Ces foutues femelles ne me lâcheront pas. Que dois-je faire? Appeler la police? Me placer sous sa protection? On me prendra pour un vieux toqué car j’ai une tête de vieux toqué, si, si, je sais ce que je dis, Antoine, inutile de vous récrier. « A cet instant de haute tension, je sens un regard posé sur moi. A la table voisine de la mienne se tient une vieille femme bossue. Style bourgeoise. Elle a défait son manteau de fourrure qui repose autour de son séant sur la banquette. Savez-vous ce que fixe cette rombière, Antoine? Ni plus ni moins que mon sexe! Car le phénomène est là, Antoine je bande! La peur me met en érection. Une érection impétueuse qui fait craquer mes amarres. La dame a repéré le fait. Elle en est hypnotisée. Alors, il me vient une idée de génie. En douce, je rapproche ma table de la sienne. Avec lenteur je lui prends la main et la dépose sur mon tumulte intime pour lui faire constater que ce n’est pas un lapin clandestin qui s’énerve dans ma culotte. Le contact la comble. « - Vous habitez seule, Frau? » susurré-je. « Elle opina. Je l’aurais parié! Son âge, sa bosse plaidaient pour une existence solitaire. « - Vous m’inspirez un indescriptible désir, Frau, lui débitai-je. Accepteriez-vous que nous vivions des instants de folie, vous et moi? » « Elle a fait un couac que je décidai de prendre pour un acquiescement. « - Merci, murmurai-je, pour peu que vous disposiez d’un pot de vaseline, voire d’une simple plaque de TU ME LES GONFLES! beurre de ménage, vous allez être comblée. Seulement, nous devons prendre des précautions car je suis filé par une femme jalouse qui a décidé de me tuer; aussi, voici ce que je vous suggère je vais enfiler votre manteau de fourrure et coiffer votre toque. Gr✠à ma maigreur, l’un et l’autre devraient m’aller. Nous sortirons bras dessus, bras dessous comme deux bonnes amies et ainsi ne serai-je pas reconnu. » « Elle était à ce point fascinée par mon anomalie, Antoine, que j’aurais pu la faire marcher à quatre pattes avec moi sur son dos de dromadaire. Nous sommes sortis enlacés. J’avais de surcroît noué son foulard autour de mon visage. Nous sommes passés àdeux mètres de la fille en noir. Ses copines se trouvaient à proximité dans leur automobile. Nous nous sommes éloignés lentement. La vieille grelottait de se trouver sans manteau par le froid continental qui règne en cette saison sur cette ville. Pour la réchauffer, je lui racontais ce que nous ferions parvenus à son domicile. Nous avons atteint celui-ci sans encombre. Cela fait quarante-huit heures que je m’y terre, payant mon écot de la façon que vous savez. J’aurais pu essayer de filer, mais je ne m’en sens pas le courage. L’on doit surveiler les hôtels, les gares, l’aéroport, Antoine. Je suis devenu un homme traqué. Moi, l’être le plus inoffensif de la planète! Moi, le vieux misanthrope à la queue de mulet! Traqué comme un vulgaire mafioso délateur! » Il me tend ses deux pauvres mains pareilles à deux gants de cuir vides. - Ai-je encore une bribe d’avenir, Antoine? - Tant qu’on possède le présent, on peut espérer avoir un avenir, Félix. - Qu’entrevoyez-vous, pour me sauver la mise? - Eh bien, tout d’abord, vous faire rentrer en France. Ensuite, organiser à Paris une conférence de presse au cours de laquelle vous raconterez aux médias rassemblés ce que vous venez de me raconter à moi! Son èffarement ferait déféquer une mouche scatophage. 58 BAISSE LA PRESSiON, Vous n’y pensez pas! - Je ne pense qu’à cela, au contraire. Réfléchissez, mon cher ami pourquoi cherche-t-on à vous neutraliser? Parce que vous savez quelque chose qui doit être tu. Ce qu’est le quelque chose? Le fait que vous ayez établi une corrélation entre l’arrestation des deux femmes au motel du fils Ferguson et l’épidémie de variole ayant sévi dans le Maine. Il est bien évident que le container que le vieux a trouvé renfermait le virus de cette foutue maladie. Comme l’une des ampoules s’était brisée, il l’a contractée. Ensuite, il est allé la propager dans son bled, près d’Augusta. Vous et Smith, tout flambards, avez couru à la police d’Atlanta y faire le rapport de votre découverte. Les flics ont transmis vos déclarations en haut lieu. Les huiles de la Santé ont immédiatement réagi. Ce devait être top secret. On a transmis à la C.I.A. et lancé des gars à vos trousses, avec pour mission de vous liquider. Ils ont failli réussir et le petit docteur Smith est mort. Mais il reste vous. Retrouver votre trace après votre sortie du ravin n’a rien eu de difficile, d’autant que vous avez pris votre billet d’avion sous votre véritable identité. Selon moi, ils ont dû découvrir votre embarquement pour Vienne alors que vous voliez au-dessus de l’Atlantique. Ils ont eu le temps d’établir un comité d’accueil pour ici. Ils auraient pu vous abattre à distanœ, mais ils tenaient à savoir si vous aviez déjà parlé, et à qui. « Il est probable qu’on vous aurait salement « cuisiné » avant de se débarrasser de vous. Et maintenant, j’en arrive à ma démonstration initiale, Félix c’est en clamant votre secret aux quatre vents que vous conjurerez le danger. Dès lors que tout le monde le connaîtra, il n’y aura plus aucun motif de vous faire taire! C.Q.F.D. » Il a l’oeil brillant, humide. - Puissamment raisonné, mon petit, murmure-t-il. Lumineux comme les ouvrages de Jacques Attali et presque aussi intelligent. Reste à déterminer comment vous allez m’arracher de là. TU ME LES GONFLES! - Le plus aisément du monde, assuré-je. Nous bénéficions d’un atout maître, Félix: ils ont perdu votre piste et ne l’ont pas encore retrouvée. Oh! je me doute qu’on doit remuer ferme de leur côté pour découvrir de quelle façon ingénieuse vous avez pu quitter la brasserie sans être vu. Ils vont finir par connaître la vérité. Il y avait des clients autour de vous. Des gens qui, fatalement, vous auront vu enfiler le manteau de la vieille et mettre sa toque, ce qui n’est pas fréquent. Ils sont à la recherche de ces gens. Quand ils sauront votre subterfuge, ils dresseront un portrait robot de votre bossue, lequel sera éloquent. Bref, ils finiront par rappliquer. Donc, il faut agir presto. Je vais louer une bagnole. Pendant ce temps, resservons-nous d’un truc qui vous a déjà réussi: déguisez-vous en femme. Puisez dans la garde-robe de la vieille sorcière. Maquillez-vous. Mettez une voilette... Nous partirons alors avec mon gamin et filerons en direction de la Suisse ou de l’italie. Il a les yeux humides, Félix. Les lèvres qui tremblent. - Oh! Antoine, vous croyez que nous allons réussir? - Les doigts dans le nez, mais il n’y a pas une minute à perdre. Le jeu consiste à filer avant qu’ils n’arrivent. - Mais même s’ils surviennent après notre départ, Gretta, cette antédiluvienne salope leur racontera tout : votre arrivée, mon déguisement... Je ne néglige pas l’objection. - C’est en effet probable, Félix. En ce cas nous l’emmènerons avec nous. Commencez déjà vos préparatifs, je vais m’occuper de la bagnole! - Prenez cela, Antoine. Et il me glisse une liasse de biftons verts dans la fouille: - Qu’est